Il ne voulait pas écrire ce livre

Librairie Livresse
mercredi 6 décembre 2017
de 18h à 20h
L’écrivain Erwan Larher
rescapé du Bataclan
parle de son livre

Sa quatrième de couverture :
« Je suis romancier.
J’invente des histoires. Des intrigues. Des personnages. Et, j’espère, une langue. Pour dire et questionner le monde, l’humain.
Il m’est arrivé une mésaventure, devenue tuile pour le romancier qui partage ma vie : je me suis trouvé un soir parisien de novembre au mauvais endroit au mauvais moment ; donc lui aussi. »

Ni roman, ni récit, ni témoignage, cet « objet littéraire » comme il le nomme lui-même faute d’autre mot mieux adapté, ce livre est bien le résultat d’un acte littéraire et cependant s’apparente à une « auto-fiction » puisqu’il s’agit bien d’Erwan Larher qui écrit sa propre histoire.
Mais cette histoire, cet événement, est aussi un événement collectif, national, dont il ne veut pas être un « témoin » privilégié.

Aussi Erwan Larher prend des formes narratives « détournées » pour parler ou faire parler de lui, de l’événement qui a été le sien mais dont il ne veut dire que l’émotion, le ressenti, l’humain, même lorsqu’il en parle comme d’une réflexion métaphysique sur l’imminence de la mort par exemple.

« Questionner le monde, l’humain » est la seconde (et maintenant première) passion de ce passionné de musique rock qui a voulu à tout prix aller au Bataclan, chaussé de ses santiags, écouter les Eagles Of Death Metal le 13 novembre 2015.  Ses amis ont refusé de l’accompagner à cette soirée. À la demande de ses amis il a d’abord refusé d’écrire « sur cet événement », puis ça lui est venu, 2 ans plus tard.

« Le livre que je ne voulais pas écrire » publié chez Quidam éditeur, est un livre écrit dans la beauté et la force de l’écriture, c’est un « objet littéraire » parce que c’est une oeuvre littéraire en soi, l’émotion, l’humour, en sont « dés-identifiés » par la qualité de la construction, du style, de la langue. Erwan Larher a continué son chemin, le livre derrière lui, il en a d’autres à écrire, le monde est grand, le temps infini et les hommes, une incommensurable curiosité…

C’est de tout cela qu’il nous parlera jeudi 6 décembre à Livresse de 18h00 à 20h. Il nous dédicacera ensuite ce bel objet avant de partager le pot de l’amitié offert par Livresse


Pour ceux qui souhaitent approcher de plus près ce travail littéraire réalisé par Erwan Larher, le connaître lui-même un peu plus, voici quelques chroniques et interviews qui vous inciteront à lire ou à relire ce beau texte :

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Le livre qu’Erwan Larher, rescapé du Bataclan, « ne voulait pas écrire »

Présent le 13 novembre 2015 dans la salle de concert, le romancier tente de dire l’indicible. Une démarche sans doute plus utile pour nous que pour lui.

Par Amandine Schmitt

Publié le 13 novembre 2017 à 17h11

Il a fallu trouver les mots pour décrire la barbarie. Pour les attentats de Paris, ils ont éclos deux ans jour pour jour après les faits. Comme «Sortie de secours» de Caroline Langlade (Robert Laffont), «Mais ne sombre pas» d’Aristide Barraud (Seuil) ou «Fragments post-traumatiques» de Benjamin Vial (Michalon), Erwan Larher tente de décrire sa nuit sous les tirs de Kalachnikov le 13 novembre 2015 dans «le Livre que je ne voulais pas écrire» (Quidam). Un exercice périlleux qu’il relève avec brio, digne dans la douleur, allant au-delà du simple témoignage pour livrer une réflexion métaphysique sur la mort, doublée d’une leçon d’écriture.

Alors que les attentats imprègnent déjà la littérature contemporaine, du décapant «Vernon Subutex 3» de Virginie Despentes à l’anxiété parfois morbide de «Survivre» de Federika Amalia Finkelstein, Lahrer ne cherche pas à déduire des événements un quelconque impact sur la société française. Lui part de l’intime. Et d’un endroit très précis: sa passion pour la musique.

Ce féru de «rock barbelé de guitares et de colère» achète tout naturellement un billet pour le concert d’Eagles of Death Metal au Bataclan en septembre 2015. C’est tout naturellement aussi qu’il ne se décourage pas quand personne ne daigne l’accompagner. Tout naturellement qu’il décrète le 13 novembre 2015 sur Facebook «gloire au mauvais goût et au bon rock», signalant qu’il portera ses santiags ce soir-là. Tout naturellement qu’il jauge ses «coreligionnaires» hipsters quand il entre dans la salle du XIe arrondissement de Paris. Il ne sait pas encore que cette nuit sera celle des attentats les plus meurtriers que la France ait jamais connus. Il écrit :

A partir de là, ce n’est plus ton histoire, c’est aussi la nôtre […] A partir de là commence une histoire que je ne voulais pas raconter.

« Tu n’as rien fait qui mérite d’être su »

En vérité, l’auteur a freiné des quatre fers pour s’exprimer. Dans son livre, il s’emporte:

Mais bon sang ! Ce soir-là tu n’as rien fait qui mérite d’être su, connu, médité, relayé ou commenté par tes semblables ! Tu n’as rien fait qui puisse être montré en exemple. Tu t’es couché au sol, tu as pris une balle à bout portant, tu t’en sors sans trop de dommages. Quel lien avec ton travail de romancier, avec tes livres ?

Mais puisque «l’époque exige l’autofiction», il décide d’écrire «autour» du 13 novembre 2015, et non pas «dessus». Son «Projet B.» ne sera ni récit ni témoignage, mais «objet littéraire». En plus de l’utilisation de la deuxième personne du singulier, la mise à distance est accentuée par des textes «vus du dehors» rédigés par des proches, souvent écrivains, comme Alice Zeniter, favorite malheureuse des grands prix littéraires de l’automne, ou Sigolène Vinson, témoin du massacre de «Charlie Hebdo». Les prénoms des terroristes ont quant à eux été modifiés. Ils sont devenus Iblis, Éfrit et Saala, figures éludées de djinns qui se résument au «doigt sur une gâchette dans le présent permanent de la postmodernité».

Cet attentat, Erwan Larher n’en a pas vu grand-chose. Tassé contre une barrière, sous une bâche, il est touché par balle à la fesse dans les premières minutes, cloué au sol avec une personne qui lui agrippe les chevilles. Il souligne à quel point les mots sont toujours faillibles devant la réalité: les «HURLEMENTS» (toujours en lettres capitales dans le texte), le sang qui poisse, le bruit des gens qui courent, les détonations.

Son autoportrait exhale la sincérité, dans ce qu’elle a de pas toujours glorieux, qu’il montre son égocentrisme en sortant de la salle en se demandant s’il est télégénique («il faut plus d’une balle dans le fondement pour abattre le narcissisme, on dirait») ou qu’il regrette de n’avoir pas agi, en parlant de lui à la troisième personne:

Super Lavette gît dans son sang et celui de ses voisins, ne peut pas bouger, feint d’être mort. Super Lavette ne cache personne, ne protège personne, n’aide personne à s’enfuir.

Réflexion sur le destin

Libéré du lourd devoir du récit de la nuit qui a traumatisé toute la population, Erwan Larher semble retrouver son identité dans la seconde partie du livre, lorsqu’il relate sa convalescence. Il se permet une douceur et une tendresse envers ses soignants, notamment le personnel de l’hôpital Mondor, dans lequel il réapprivoise son corps meurtri et dévirilisé. C’est aussi l’occasion de quelques coups de griffes, contre cette société qui ne chérit pas davantage son service public, contre ce maire qui ne s’est intéressé au monument qu’il voulait restaurer que lorsqu’il a appris qu’il avait affaire à un rescapé.

De son expérience pour le moins prosaïque au Bataclan, Erwan Larher fait une réflexion sur le destin, qu’il résume dans un savoureux passage en forme de conte:

Il était une fois un homme qui n’avait jamais rien vécu de traumatisant ; qui n’avait jamais souffert. […] Dans ses romans, il se piquait pourtant de questionner le monde, pas besoin pour ça selon lui d’y avoir subi bourrèlements ou violences. […] Lachésis décida donc le mettre à l’épreuve. Un vendredi 13, elle l’envoya au milieu du Chaos – soit selon Hésiode, la béance originelle qui précède la création du monde et celle des dieux.

Il secoue ceux qui ne croient qu’au rationnel avec une troublante session chez une ostéopathe spécialiste des énergies du corps humain, qui le soigne avec quelques manipulations adroites. «Votre corps n’avait pas compris que la balle était ressortie», lui explique-t-elle.

« On s’en fout de ton avis »

Dans les premières pages du récit, à bord d’un TGV Annecy-Paris, les amis écrivains d’Erwan Larher tentent de le convaincre d’écrire sur les attentats. Alors qu’il refuse, l’un lance:

On s’en fout de ton avis, on te demande une épopée !

C’est que le livre semble plus indispensable pour nous que pour l’auteur. Il joue en effet sur la double expérience de l’individuel et du collectif, de l’intérieur et de l’extérieur. Les témoignages que Larher a réclamés à ses proches déroulent ce qu’un bon nombre d’entre nous a connu cette nuit-là: les appels téléphoniques dans le vide, les posts Facebook affolés, les «T’es où» par SMS, et, depuis, l’insécurité, le fait de chercher une issue de secours, de guetter une mine suspecte dans la rue ou dans le métro. Une situation invivable, traumatisante, que nous espérons pouvoir enfin comprendre grâce à quelqu’un qui s’est trouvé à l’épicentre de l’horreur.

Erwan Larher s’acquitte de sa tâche, avec un message de tolérance, d’amour et d’entraide. Ce n’est peut-être pas le livre qu’il voulait écrire, mais c’est celui que nous voulions lire.

Amandine Schmitt


Elle lit des romans

Le livre que je ne voulais pas écrire, d’Erwan Larher

par Caroline Doudet (L’Irrégulière) 22 septembre 2017

En tout cas un déclic vient de se faire en toi. Parce qu’Alice a prononcé le mot magique — partager ? Il n’est même pas certain qu’il ait franchi ses lèvres, mais même si tout est romancé, ils ont raison tes deux bienveillants amis ligués contre toi : tu es investi malgré toi d’une sorte de mission. Ce n’est pas le témoignage d’Erwan Larher qui est important, c’est ce que le seul écrivain présent ce soir-là au Bataclan en ferait s’il s’attaquait au sujet, au matériau.

Il serait facile de commencer en disant que c’est le livre que je ne voulais pas lire. Facile, mais pourtant vrai : jusque-là, j’ai soigneusement évité tous les ouvrages publiés sur le 13 novembre. Parce que je ne peux pas. Et puis voilà, il y a celui-là. Erwan Larher, je ne le connaissais pas, ni comme écrivain (jamais lu, mais apparemment je loupais quelque chose — mais on ne peut pas tout lire) ni comme personne. Mais il se trouve que nous avons beaucoup d’amis en commun. Amis virtuels, amis réels, des personnes à qui je tiens et qui tiennent à lui. Ces personnes, le soir du 13 novembre, alors qu’il était au Bataclan, puis que nul après l’assaut ne savait quel était son sort, ces personnes s’inquiétaient pour leur ami du Bataclan. Par contamination, capillarité, empathie, je ne sais pas, je me suis du coup inquiétée aussi, cette nuit où je n’ai pas dormi. Peut-être aussi parce que j’avais besoin de donner un visage à ces victimes, et qu’un homme qui était aussi précieux pour tant de gens ne pouvait être qu’une belle personne, que j’avais aussi envie de connaître.

C’est donc comme ça que j’ai lu ce livre que je ne voulais pas lire et que son auteur ne voulait pas écrire, mais que la nécessité lui a imposé.

Tout commence par l’histoire d’un garçon qui aime le rock — plus : le rock est inscrit dans son ADN. Et, comme il aime beaucoup Evil of Death Metal, il achète un ticket pour leur concert du Bataclan, le 13 novembre 2015…

C’est un texte dont on ne ressort pas indemne, on ne va pas se mentir : j’ai versé des litres de larmes, j’ai été bouleversée, et je vais avoir un mal fou à mettre des mots sur les choses, parce qu’il s’agit, vraiment, d’une expérience de lecture très intime, qui remue beaucoup de choses. Cathartique. Mais, voyeurs, passez votre chemin : il n’y a ici nul sensationnalisme, nul exhibitionnisme, tout au contraire est en pudeur et en mise à distance du pathos. Peu de « je » — l’auteur se dédouble, s’adresse à lui-même, se met à distance et raconte l’essentiel à la deuxième personne. « Tu » met à distance le pathos, même dans les moments poignants — et il y en a, bien sûr, malgré une certaine forme d’autodérision qui ne semble jamais quitter l’auteur. Le pendant, devenir caillou, l’après, la reconstruction. Le déclic, qui fait qu’il se sent obligé, par une force supérieure, d’écrire sur ça, parce qu’il était le seul écrivain à vraiment pouvoir le faire, parce qu’il est le seul à l’avoir vécu, et que peut-être il l’a vécu parce qu’il devait l’écrire. Le destin. Alors le livre se fait, sous nos yeux — mais en inventant autre chose : pas un témoignage, pas un récit, pas vraiment un roman non plus. Quelque chose, un objet littéraire, qui travaille la langue de l’intérieur, la dynamite parfois. Un livre qui s’invente par le fait même de s’écrire. Qui prend en compte toute la complexité du monde en intégrant les « vu de l’extérieur », textes que lui ont donné ses amis pour partager ce qu’ils ont vécu, ce soir là. Qui transfigure le réel et fait de ce moment un petit morceau de destin.

A la pulsion de mort, celle des démons terroristes dans l’âme desquels le livre fait parfois un détour, succède la pulsion de vie. L’amitié, valeur cardinale, le sexe, l’amour qui surgit et donne du sens à tout. Douloureux, ce texte est aussi, finalement, lumineux, et absolument nécessaire ! Un coup de coeur — ou plutôt un uppercut !


Erwan Larher #1 : « Les terroristes sont des humains, pas des cyborgs ni des robots »

Alors que les attaques terroristes sont devenues notre quotidien, comme nous l’a douloureusement rappelé l’attentat de vendredi dernier à Londres, Erwan Larher publie « Le Livre que je ne voulais pas écrire », sur la nuit qu’il a vécue au Bataclan.

15/09/2017

Rescapé du Bataclan, Erwan Larher nous livre, avec « Le livre que je ne voulais pas écrire », un texte tout en retenue et souvent drôle, sur la nuit du 13 Novembre.

Le livre que je ne voulais pas écrire est une sorte de dédale littéraire composite, avec pour seul fil d’Ariane la nuit du 13 Novembre 2015. Fiction et réalité s’imbriquent, se chevauchent et se complètent, donnant naissance à un genre hybride, méta fictionnel ou pluri réel. Une narration saccadée, précipitée, presque à bout de souffle, et un « tu » déroutant interpellent dès les premières lignes. Le lecteur vit cette nuit de l’intérieur, aux côtés d’un narrateur scindé en deux, à la fois victime dans le feu de l’action et auteur exégète de sa propre vie. Mais l’écrivain laisse, entre deux chapitres, la parole à ses amis, sa famille, tous ceux qui ont pris la plume pour raconter la manière dont ils ont vécu cette même nuit, de l’extérieur. Un texte intime, donc, mais une intimité plurielle, qui donne une autre perspective au drame national.

« J’ai un appétit féroce d’écriture. Je veux questionner le monde en malaxant la langue et la forme romanesque ».

TWENTY : Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire ce livre que vous ne vouliez pas écrire ?

EL : Il a commencé à s’écrire tout seul (j’étais en train d’en écrire un autre roman à cette époque, en avril 2016), j’ai continué comme un défi à moi-même (au romancier en moi pour être précis). Comprendre que le matériau de base du roman n’était pas seulement une mésaventure intime (ce qui, selon moi, n’intéresse personne) mais aussi une sidération collective, m’a autorisé à poursuivre.

TWENTY : Finalement, est-ce que tous les livres qu’on écrit ne sont pas des livres qu’on ne voulait pas écrire ? N’est-ce pas le propre du roman ?

EL : Pas pour moi. J’ai un appétit féroce d’écriture. Je veux questionner le monde en malaxant la langue et la forme romanesque. Mais en effet, si l’on compare la volonté de départ et le texte achevé, on trouve souvent une grande différence. Tous les livres qu’on écrit sont peut-être des livres qu’on ne voulait pas écrire comme ça.

« Si la case dans laquelle ranger mon texte m’importe peu, je me suis cependant efforcé qu’il ne soit ni un récit ni un témoignage ».

TWENTY : George Semprun, dans l’écriture ou la vie, mettait l’écriture du côté de la mort et du souvenir, et en faisait, de fait, l’antithèse de la vie. Chez vous, on a au contraire l’impression que l’écriture est l’armature de la vie. Écrire, c’est vivre ?

EL : Écrire, c’est interroger, questionner. Et vivre sans (se) questionner, très peu pour moi. D’autres le font autrement, par d’autres formes d’engagement ou d’expression. Je vous avoue que je n’ai pas un discours théorique ou réflexif très abouti à propos de l’écriture ou de la littérature. Je fais. En artisan, avec quelques principes, quelques idéaux et ambitions, de l’exigence, pas mal d’humilité aussi j’espère. Ensuite, c’est le rôle des critiques et exégètes de mettre mon travail en perspective.

TWENTY : Si l’autofiction vous révulse, quel serait alors le genre de ce texte ?

EL : Ce texte est au sens strict une autofiction. Ce qui m’agace, ce n’est pas tant le terme lui-même que ce qu’il en est venu à recouvrir : des textes nombrilistes et autocentrés (mon divorce, mon horrible famille, ma sexualité, etc.) sans aucun intérêt littéraire. Si la case dans laquelle ranger mon texte m’importe peu, je me suis cependant efforcé qu’il ne soit ni un récit ni un témoignage.

TWENTY : Comment faire la part des choses entre fiction et réalité ? 

EL : Mon objectif n’était pas d’ordonner des souvenirs mais de voir si je pouvais créer à partir pour une fois d’un matériau non-fictionnel. À l’extrême, j’aurais très bien pu écrire ce texte si je n’avais pas été au Bataclan. Il aurait été différent, voilà tout, mais peut-être aurait-il eu le même intérêt — pour autant que celui-ci en ait. Il est vrai cependant que je me suis beaucoup questionné autour du personnage de Jeanne, ceux qui liront le livre comprendront pourquoi…

TWENTY : Pourquoi avoir choisi le « tu » de narration, généralement peu usité en littérature ? Vous dites qu’un héros s’appelant Erwan était ridicule. Pourquoi ?

EL : La deuxième personne du singulier est venue très tard dans le processus d’écriture. Je n’étais pas à l’aise avec le « je », peut-être que je trouvais que cela faisait trop récit, ce que je voulais absolument éviter. C’est l’instinct qui a parlé, je suppose qu’on peut trouver plein de justifications a posteriori. Le « tu » me permettait soudain de jouer avec les pronoms personnels, les différents personnages et le lecteur, d’intervertir les identités, les points de vue. Quant à parler de soi à la troisième personne… essayez dans votre prochain roman, vous verrez, c’est très dérangeant, désagréable.

TWENTY : Quels étaient les écueils à éviter, avec ce livre ?

EL : Les impératifs que je me suis fixés pour ce livre n’étaient pas différents de ceux que je me donne pour les autres : essayer de faire du bon travail, respecter l’intelligence du lecteur, jouer avec lui et non me jouer de lui, selon la jolie expression de Pierre Senges, continuer à tâcher de faire œuvre, aussi immodeste que cela sonne.

« J’imagine que quelques minutes avant de commettre un acte d’une telle violence, d’une telle barbarie, avant de se suicider aussi, on a les intestins en vrac ».

TWENTY : Vous insistez beaucoup sur la peur de ne plus pouvoir « bander » après ce qu’il vous est arrivé… est-ce que ce livre aurait été différent, plus amer, plus âpre, si ça avait été le cas ?

EL : Je ne sais pas si je l’aurais écrit. Je crois que je me serais retiré du monde.

TWENTY : En fantasmant le pet malencontreux d’un des terroristes, quel était votre but ? Leur rendre leur humanité ?

EL : Je n’ai rien voulu, la scène s’est écrite ainsi. J’ai décidé de la garder parce que j’imagine que quelques minutes avant de commettre un acte d’une telle violence, d’une telle barbarie, avant de se suicider aussi, on a les intestins en vrac, la peur au ventre. Les terroristes sont des humains, pas des cyborgs ni des robots.

TWENTY : Quel regard portez-vous sur les terroristes d’aujourd’hui ? Avez-vous un regard différent en tant qu’écrivain et en tant que victime d’un attentat ?

EL : Ce que je pense n’a aucun intérêt. Ce qui m’importe, et en cela peut-être le romancier peut avoir une utilité dans la Cité au même titre qu’un sociologue ou un penseur, c’est que l’on s’interroge sur la fabrique des terroristes. Comment en arrivons-nous à engendrer des hommes capables de commettre de tels actes ? Je crois que la responsabilité est collective — et en énonçant cela, je n’absous pas les terroristes, entendons-nous bien. Plusieurs problématiques sont imbriquées : éducatives, morales, pénales, diplomatiques, économiques, etc. Le romancier que je suis s’efforce de mettre en littérature ces questions (comme d’autres mettent en musique).

TWENTY : Vous vous adressez beaucoup aux terroristes. Est-ce que c’est quelque chose que vous auriez aimé pouvoir faire ? Auriez-vous souhaité qu’il y ait un procès, s’ils étaient restés en vie ? Auriez-vous souhaité être témoin, passer à la barre ?

EL : Joker ! On ne parle que du livre…

Par Carmen Bramly, 22 ans, écrivain

Retrouvez demain la seconde partie de l’interview d’Erwan Larher
Crédit Photo : Dorothy-Shoes

Erwan Larher #2 : « C’est héroïque d’être gentil de nos jours »

Alors que les attaques terroristes sont devenues notre quotidien, comme nous l’a douloureusement rappelé l’attentat de vendredi à Londres, Erwan Larher publie « Le livre que je ne voulais pas écrire », sur la nuit d’horreur qu’il a vécue au Bataclan.

15/09/2017

Rescapé du Bataclan, Erwan Larher nous livre, avec « Le livre que je ne voulais pas écrire », un texte tout en retenue et souvent drôle, sur la nuit du 13 Novembre.  

« Le 13 novembre 2015 appartient désormais à notre histoire collective »

TWENTY : Vous dites que cette nuit ne vous appartient pas véritablement… qu’elle est autant celle des terroristes, que des autres victimes ou de leurs proches… cette «kolkhoization» forcée de votre histoire a-t-elle eu un effet salvateur, pour éviter le PTSD ?

EL : Le 13 novembre 2015 appartient désormais à notre histoire collective. Que j’aie été aux premières loges de l’évènement ne me donne pas plus de légitimité à en parler. Picasso était à Paris au moment du bombardement de Guernica, et sa toile est une œuvre de commande… et alors ? Quant au PTSD, je ne sais pas si j’en ai été atteint. Jusqu’ici, tout va bien. Est-ce grâce à ma plutôt joyeuse constitution ? Grâce à l’amour et l’amitié dont je suis entouré ? À l’écriture ? Je l’ignore.

TWENTY : Vos proches interviennent à de nombreuses reprises, pour raconter cette nuit. Quelle consigne leur avez-vous donné, avant qu’ils ne rendent les textes ? Certains de vos proches ont-ils refusé de participer à l’écriture du livre ?

EL : J’ai donné une triple consigne à la petite vingtaine de personnes sollicitées : ne faites pas trop long (10’000 signes grand maximum), ne vous censurez pas et ne cherchez à épargner qui que ce soit, n’essayez pas de faire joli. J’ai découvert les textes au fur et à mesure qu’ils m’étaient envoyés, et à chaque fois c’était une émotion dingue. En effet, tous n’ont pas accepté, certains par pudeur, d’autres ne se sentaient pas à la hauteur, et Philippe Jaenada n’avait pas le temps, il était soi-disant très en retard dans l’écriture de son roman La Serpe.

« Les réseaux sociaux font donc partie de mon 13 novembre »

TWENTY : Qu’avez-vous ressenti en lisant le texte de Loulou qui clôt le livre ? Vous vouliez lui laisser le dernier mot ?

EL : Je ne lui avais pas demandé de texte. Elle me l’a envoyé, après avoir beaucoup hésité, la veille du jour où je devais rendre les épreuves définitives à mon éditeur, ce qui nous a obligés, tant ce texte était puissant, magnifique, à réorganiser la fin du livre pour l’y intégrer. J’ai été bouleversé par le geste et le texte. Loulou est une femme extraordinaire, je le savais, mais là…

TWENTY : Quelle est la fonction littéraire des captures d’écran Facebook, que vous faites intervenir à de nombreuses reprises dans votre ouvrage ?

EL : J’avais posté le 13 novembre sur Facebook un statut disant que je serais le soir même au concert d’EODM. À cause de ce statut, des amis, virtuels ou non, savaient que j’étais au Bataclan et, comme personne n’avait de mes nouvelles (j’étais blessé et je n’avais pas pris mon téléphone), se sont inquiétés toute la nuit. Ils s n’ont su que j’étais vivant, grâce à quelqu’un de l’hôpital qui a vu passer mon nom sur Twitter, que vers 04h30 du matin. Il y a eu de magnifiques échanges, des conversations si émouvantes à relire aujourd’hui. Les réseaux sociaux font donc partie de mon 13 novembre, en effet. Et puis l’inquiétude, l’effroi, l’amour sont mémorisés grâce à eux, imprimés, il reste une trace.

TWENTY : On dit souvent que l’époque manque de héros, or pour vous, tous les infirmiers, médecins, pompiers, policiers etc… qui étaient présents ce soir-là en sont. Devrions nous revoir notre définition de l’héroïsme ?

EL : La prolifération des films de super-héros n’est-elle pas symptomatique ? Montre-t-elle que nous attendons d’être sauvés par d’autres que nous-mêmes ? Que nous confions notre salut à ceux qui auraient des super-pouvoirs ? Comme beaucoup, je crois que l’héroïsme est ailleurs, dans la résistance à l’injustice, dans l’attention portée aux autres, la générosité, la gentillesse même. Oui, c’est héroïque d’être gentil de nos jours, hélas… Est un héros aussi celui qui pense et agit en dépassant ses mesquines préoccupations égoïstes, son intérêt personnel.

TWENTY : Êtes-vous retourné au Bataclan depuis sa réouverture ?

EL : Non. Je passe devant de temps en temps en moto. Je pense que ça me fera bizarre le jour où j’y remettrai les pieds.

TWENTY : Pour finir, Auriez-vous un conseil à donner à nos jeunes lecteurs, cette génération qu’on a appelé, sans doute à tort, la génération Bataclan ? Comment vivre sa vingtaine dans notre chère société post-moderne (terme que vous employez à deux reprises) selon vous ?

EL : Non, je n’ai aucun conseil à donner, je ne suis pas un moraliste. Enfin si : lisez, informez-vous en profondeur, ne vous arrêtez pas aux apparences, aimez, aidez, partagez. Et penchez-vous peut-être, pour ce qui est de la question d’une « Génération Bataclan », sur le roman Survivre de Frédérika Amalia Finkelstein, que je n’ai pas encore lu, mais j’ai beaucoup apprécié l’auteur lors d’un échange sur France Culture.

Par Carmen Bramly, 22 ans, écrivain

Crédit Photo : Dorothy-Shoes


Les chroniques de  Mandor  09 octobre 2017

Erwan Larher : interview pour Le livre que je ne voulais pas écrire

Erwan Larher était au Bataclan le 13 novembre 2015. Erwan Larher est écrivain. Erwan Larher est un écrivain que j’ai rencontré bon nombre de fois (voir/lire ses différentes mandorisations là en 2010ici en 2012 et encore là en 2013). Erwan Lahrer est un écrivain que j’ai rencontré bon nombre de fois avant l’attentat du Bataclan. Après le drame, je n’ai pas su comment gérer l’amitié et la considération que je lui porte, je n’ai pas su comment me comporter pour lui témoigner mon affection (je n’ai donc rien fait. C’est génial non ?), je n’ai pas su lui rendre visite à l’hôpital, lui envoyer au moins un message gentil et compatissant (comme l’ont fait tous ses amis. Bravo François ! Pour un type dont tu dis depuis toujours qu’il va devenir un auteur culte un jour et que tu as toujours apprécié humainement, c’est bien joué !), bref, je n’ai pas franchement été à la hauteur. Je n’ai jamais bien su me comporter devant l’indicible (rencontré pourtant souvent). Bref, alors que je l’avais reçu pour la plupart de ses ouvrages, et ce, depuis le premier, je n’ai même pas été capable de le contacter en 2016 pour la sortie de son livre précédent Marguerite n’aime pas ses fesses. J’avais peur de passer pour un opportuniste (ce qui est particulièrement con puisque je l’ai toujours défendu avant « les événements »). Lui, par contre, m‘a-t-il dit, pensait que je me désintéressais de ce livre (quiproquo mon amour). Et puis, j’ai fini par le recroiser dans quelques soirées littéraires d’amis communs. Moi, toujours pas tout à fait à l’aise, sans aucune raison. Puis, j’ai lu Le livre que je ne voulais pas écrire. Un choc. Uppercut en plein cœur.

J’ai pris sur moi de « renormaliser » ma relation avec Erwan (qui, je le rappelle, n’avait aucune raison de ne plus être normale. Je vous laisse, je file voir un psy ! Je n’ai peut-être pas tout à fait trouvé ma place dans la vie et la société en général.) Je me suis rendu le 8 septembre dernier à la soirée de lancement de son dernier livre et je lui ai fait part de tout ça. Il m’a regardé m’expliquer pathétiquement. J’ai lu dans son regard, « t’es con », mais ce n’est pas ce qu’il m’a dit. Il est gentil Erwan. Bref, le 15 septembre dernier, nous nous sommes revus, comme en 40 (quelle belle expression!) pour une mandorisation… à l’ancienne, donc.

Je l’aime Erwan  Larher.

4e de couverture :

Je suis romancier. J’invente des histoires. Des intrigues. Des personnages. Et, j’espère, une langue. Pour dire et questionner le monde, l’humain.
Il m’est arrivé une mésaventure, devenue une tuile pour le romancier qui partage ma vie : je me suis trouvé un soir parisien de novembre au mauvais endroit au mauvais moment ; donc lui aussi.

L’auteur :

Erwan Larher est né à Clermont-Ferrand – hasard d’une affectation militaire paternelle. Un jour, suite à ce qui pourrait ressembler à une crise de la trentaine, il quitte l’industrie musicale dans laquelle il travaille pour se consacrer à l’écriture. Mais continue à écouter du rock avec plein de guitare dedans, écrire des paroles de chansons, des séries TV et jouer au squash. Récemment, il s’est aussi lancé dans la déraisonnable aventure de réhabiliter un ancien logis poitevin du XVe siècle pour en faire une résidence d’écriture.
Après Qu’avez-vous fait de moi ? et Autogénèse (Michalon, 2011, 2012), il a publié L’Abandon du mâle en milieu hostile et Entre toutes les femmes (Plon, 2013 et 2015).
L’Abandon du mâle en milieu hostile a reçu les prix Claude Chabrol et Louis Barthou (de l’Académie française) en 2013.

Interview  par Mandor :

T’attendais-tu à ce que ce livre génère autant de belles choses ?

Non, d’autant que dans mon esprit, ce livre ne devait pas sortir. Il est finalement devenu un objet entre deux livres souhaités et réfléchis. Mon éditeur m’a incité à le sortir. Dès le mois de mai, j’ai commencé à avoir des retours plus que positifs des libraires.

Avais-tu peur que ton livre soit un succès pour les mauvaises raisons ?

Bien sûr. Mais, il ne faut pas se mentir, si les gens s’intéressent à lui, ce n’est pas que pour ses qualités littéraires, c’est aussi parce qu’il est question de la tragédie du Bataclan. Mais, je suis frappé de voir que les lecteurs y trouvent autre chose, qu’ils y voient ce que j’ai voulu y mettre, c’est-à-dire mon travail d’écrivain. Après, le sujet, c’est le sujet.

Au fond, pourquoi as-tu écrit ce livre ?

Parce que c’est finalement l’histoire de chacun d’entre  nous. Je crois que les gens lisent ce livre comme s’ils lisaient une part de leur histoire, presque avec un H majuscule. C’est curieux parce que j’ai remarqué que cela génère de l’amour.

Tu t’imaginais bien que ce sujet allait intéresser beaucoup de monde.

Je me suis dit que ce sujet n’allait intéresser personne, au contraire.

Tu racontes que tes amis t’ont poussé avec insistance, quitte à te froisser, à écrire ce livre. Tu étais le seul écrivain présent au Bataclan ce soir-là.

Entre tes proches qui ont envie d’avoir ta lecture, ton œil, ta plume et là, l’espèce de bouche à oreille qui est en train de se passer, il y a un monde.

Tu as bien fait de céder.

Je n’ai pas cédé. Je le raconte dans le livre. Un matin, c’est venu tout seul, j’ai écrit. L’écriture a précédé la décision d’écrire.

J’ai souvent eu les larmes aux yeux. Principalement à la lecture des « Vu de dehors », les témoignages de tes proches.

Ce livre ne serait pas ce qu’il est sans ces témoignages-là. Quand j’ai eu cette idée, j’ai dit aux personnes concernées que je ne savais pas si j’allais réellement utiliser leur récit. En fait, j’ai considéré que cela me permettait de me décentrer de ce qui me faisait peur : le nombrilisme et l’auto-apitoiement. J’ai donc dit « banco » !

Tu as dû être ému en lisant ces témoignages, non ?

Evidemment. J’ai essayé de ne pas me laisser envahir par l’émotion en me disant que cela faisait partie du projet littéraire. Maintenant, te dire que j’y suis parvenu…

Tous les gens que tu as sollicités ont accepté ?

Certains ont écrit, mais ont finalement décidé de ne pas être dans le livre C’est le cas d’Emilie de Turckheim. Elle m’a écrit un très beau texte : « voilà, c’est juste pour toi ! » C’est beau, ça aussi. J’ai également sollicité Philippe Jaenada, qui a été très présent quand il m’est arrivé ce qu’il m’est arrivé. Mais il était déjà très en retard sur l’écriture de son dernier livre, La serpe. Il en a été franchement désolé, mais c’était impossible pour lui de dégager du temps.

Dans la vie, on ne sait pas toujours à quel point les proches nous aiment. Toi, tu en as la preuve manifeste avec les textes qu’ils t’ont envoyés.

Ce n’est pas faux. Mais, je l’ai écrit dans le livre, ça fait des années que je dis aux gens que je les aime. Quand tu dis aux gens que tu les aimes, il y a un retour d’amour. Quand tu donnes, tu reçois. Dans mon cas, effectivement, grâce au livre, c’est dit, c’est écrit, cela se voit c’est comme gravé dans le marbre.

Ce qui m’a agacé, c’est que l’on ne sache pas qui a écrit quoi.

Où est l’importance de savoir qui a écrit tel ou tel témoignage ? J’ai pris cette décision immédiatement. J’ai prévenu tout le monde que j’allais incérer les textes, mais qu’ils n’allaient pas être signés. Tout simplement parce que je trouvais que cela aurait nuit à la fluidité du roman. Une signature aurait cassé cette fluidité. Je voulais aussi que l’on soit tous ensemble, sans singularité.

C’est toi qui as sollicité tout le monde ?

Oui, j’ai demandé à une vingtaine de personnes. Des proches et des moins proches. Il y a même des gens que je connaissais peu, qui ont juste manifesté l’envie de venir me voir à l’hôpital et qui ont été touchés par ce qui m’est arrivé. Ils ont écrit de très belles choses.

Tu as relancé les gens ?

Non, il y avait de ma part une invitation et une deadline, soit ils disaient oui et ils écrivaient, soit il n’y avait pas de réponse ou des impossibilités temporaires, là, je ne relançais jamais.

Il y a aussi un texte de Loulou Robert, ton amoureuse.

Je ne lui ai pas demandé de texte. Je trouvais ça déplacé et indécent par rapport à ma compagne d’avant. Avec Loulou, nous estimions que ce n’était ni opportun, ni approprié, car elle est arrivée dans ma vie après ces événements. Il se trouve que la veille de faire partir les épreuves à l’éditeur, je reçois un mail d’elle avec une pièce jointe. Je lis son texte qu’elle estimait évidemment mauvais parce qu’elle doute toujours (et à tort) de ses talents littéraires et il m’impressionne. J’appelle mon éditeur et je lui demande de le lire aussi. Il me répond immédiatement en me disant que c’est magnifique, magique même. Il a donc fallu réorganiser la fin du livre pour que ça se termine sur le texte de Loulou. Il avait sa place pleine et entière. De toute manière, ce livre est une suite de coïncidences heureuses. Chaque fois que j’étais dans une impasse en termes d’écriture, il se passait quelque chose qui débloquait la situation.

Avec ce livre, as-tu l’impression d’avoir fait quelque chose qui te dépasse ?

J’ai l’impression que ce projet ne m’appartient plus. C’est très étrange comme sensation, parce que jusqu’à présent, j’écrivais des romans qui trouvaient plus ou moins leur public. Là, je suis dépossédé parce que tout le monde s’approprie le livre. Je trouve que cela ne fait qu’enrichir plus encore le projet parce que cela tisse de jolis liens.

Je te connais depuis pas mal de temps, plus en ta qualité d’écrivain que personnellement. Je sais qu’un de tes objectifs, en tant que romancier, c’est de questionner le monde. Je me trompe ?

Non, c’est tout à fait ça. Je souhaite que le lecteur ne soit pas tout à fait le même quand il a fini un de mes livres. Si les lignes de chacun ont un peu bougé, j’ai fait mon boulot de romancier.

Admets-tu  que l’on ne peut pas lire ce livre-là, comme on lisait tes précédents romans

Je me rends compte de cela d’interview en interview. Mais qu’est-ce que cela changerait à la qualité du texte si j’avais tout inventé, si je n’avais pas été au Bataclan ?

Déjà que dans un roman lambda, on tente de savoir ce qu’il y a de l’auteur dans l’histoire, alors avec ce sujet précis, il me semble compliqué d’y faire abstraction.

Mais qu’est-ce que cela changerait ?

Tout.

Imagine qu’un jour, on apprend que je n’y étais pas. Est-ce que cela voudrait dire que mon livre est moins bon. J’espère que non.

Ce serait au minimum du mauvais goût et de l’imposture.

Est-ce qu’on en a voulu à Romain Gary d’avoir été Emile Ajar et d’avoir trompé son monde ?

Ce n’est pas pareil. Ce qui est arrivé au Bataclan a touché au cœur et traumatisé tout le monde.

D’accord, ce n’est pas tout à fait la même chose, mais je pense que tu as compris l’idée.

Le regard des autres a changé envers toi ?

Les premiers mois après l’attaque, quand les gens ont appris que j’y étais, les gens étaient choqués, estomaqués, en empathie immédiate. Ca s’estompe aujourd’hui.

Et dans le milieu littéraire ?

Bonne question ! Aujourd’hui, ce que je trouve drôle, dans les salons du livre par exemple, c’est le regard de mes collègues parce que le livre fait parler de lui et qu’il trouve son public. Tu connais ce milieu, c’est symbolique tout ça. Chacun à sa petite place, chacun se juge par rapport aux autres. D’auteur échevelé un peu sympathique, qu’on aime bien avoir en salon, d’un coup, j’ai senti une forme de respect de la part de mes collègues. Beaucoup de ceux qui ne me calculaient pas avant, viennent désormais me saluer.

Tu es passé dans la catégorie supérieure ?

Je trouve ça tellement ridicule. Moi, je continue à ne pas me prendre au sérieux. On écrit des livres, nous ne sommes pas des chirurgiens, on ne sauve pas le monde. Ça va quoi ! Restons calme !

Non, je pense que le nouveau respect dont tu fais l’objet vient aussi du fait que tu as vécu une situation hors du commun, comme tu le disais tout à l’heure, à dimension historique. Cela peut impressionner.

Je n’ai pas choisi d’être là où j’étais à ce moment-là. Je ne suis pas un héros. Je n’ai aucun mérite.

Comme tu l’expliques dans le livre, tu as cumulé les signes du destin pour te retrouver dans cette situation au Bataclan.

Entre les potes qui devaient venir et qui ne sont pas venus, ma compagne d’alors, Jeanne, qui devait me rejoindre et qui ne vient pas non plus, la balle qui, à cinq centimètres près, pouvaient me tuer sur le champ… c’est fou !

Il transpire de ton livre que tu n’en veux à personne.

C’est marrant, c’est une question qui revient assez souvent. Je ne la comprends pas. J’en veux plus à la société, au monde dans lequel on vit, aux gens qui l’organisent comme ça, à nous qui ne faisons rien pour que cela change. Là, nous avons à faire à trois décérébrés qui arrivent et qui tirent dans le tas. Je ne sais même pas qui ils sont, je ne les nomme jamais dans le livre. Je ne leur en veux pas personnellement, j’en veux au monde qui les a produits et qui a permis que cela arrive. C’est nous, puisque nous sommes en démocratie. Il y a une responsabilité collective, eux ne sont que le fruit de nos lâchetés, de la démission de l’état sur les questions de l’éducation, de la faillite du vivre ensemble. Très profondément, et je te jure que ce n’est pas une posture, je n’ai aucun ressentiment.

Tu expliques aussi que tu n’as pas cette culpabilité qu’on les gens qui se sortent d’un drame sachant que d’autres n’ont pas eu cette chance.

Je ne ressens pas de la culpabilité, je ne sais d’ailleurs pas trop mettre de mot sur ce que je ressens. Il est certain que si je me retrouvais en face de parents de victimes, j’en aurais un peu. Je ressentirais un profond sens de l’injustice et de l’empathie face à cette injustice… mais pas vraiment de la culpabilité, parce que je n’y suis pour rien.

Est-ce plus fluide d’écrire un livre d’une histoire vécue que d’un roman en tout point inventé ?

Non. C’est tout le contraire. Quelqu’un comme Philippe Jaenada (photo à gauche) a besoin de la réalité. C’est sa base de travail et il est extrêmement doué pour s’arranger avec ça. Pour ma part, j’aime bien l’analogie du cookie. Ma vie dans les romans, ce sont les bouts de chocolat sur un cookie. Le livre que je ne voulais pas écrire, c’est le cookie et la fiction, ce sont les bouts de chocolat. C’est l’inverse de ma manière d’écrire habituelle. Contrairement aux apparences, je ne suis pas très exhibitionniste de ma vie. Je n’aime pas parler de moi, en fait. Il a fallu trouver des artifices, des ruses, du coup, il y avait un côté excitant pour le romancier que je suis. Il y a eu les « vu de dehors » et les passages du je au tu. J’avais un autre souci, je n’avais pas de fin. Quand on écrit un roman, on a une trame et je sais globalement où je vais, même si ça peut changer en cours de route. Soudain, j’ai eu une fin qui m’est tombée dessus. C’est la magie de l’écriture. Pour résumer, celle de ce livre a été très étrange, inconfortable, laborieuse, pénible parfois, décourageante, mais très excitante.

Je connais ton exigence littéraire.

Je suis très ambitieux en termes de littérature, maintenant est-ce que je parviens à être aussi bon que je le souhaiterais ? Ce n’est pas à moi d’en juger. Par contre, cela peut paraître paradoxal, mais ça ne l’ai pas, je suis immodeste par rapport à mon travail et j’estime que je suis mon seul juge.

Tu as évité l’écueil de ce genre de livre : le pathos. Il y a même des scènes drôles…  c’est évidemment pour désamorcer la tragédie.

J’ai essayé d’être au ras de l’humain tout en ayant conscience que j’étais dans un moment d’Histoire qui me dépassait. Un peu de légèreté ne nuit pas. Si ça touche, si ça parle, je suis content.

Sans faire de la psychologie de comptoir à la con, mais après avoir écrit ce livre, après en avoir parlé dans de nombreuses interviews, de rencontres dans des librairies, des salons du livre, tu vas pouvoir passer à autre chose, non ?

Je suis passé à autre chose depuis longtemps, je t’assure. Les gens ont du mal à le comprendre. Bien sûr qu’il doit y avoir une part d’inconscient, de subconscient, de je ne sais pas quoi qui incite à faire les choses malgré nous. Je sais bien que l’on ne contrôle pas tout. Certainement, ce livre m’aide, m’a aidé à vivre le mieux possible.  Certainement, c’est un processus de reconstruction, mais je ne l’ai pas écrit dans ce but. Ma démarche n’a jamais été celle-ci en tout cas. Ce livre est pour moi avant tout un travail littéraire.

Ce livre « que tu ne voulais pas écrire », tu es content de l’avoir écrit au final ?

Bien sûr. Je suis très content. C’est même une fierté car le processus n’était pas évident. J’ai l’impression que ce livre a une utilité dans la cité, parce qu’il crée du lien, du partage et il fait même du bien, je crois. C’est un peu grandiloquent, mais quand je parle de mon travail, c’est toujours grandiloquent.