Rappel : Magyd Cherfi, la part belle du Gaulois à Livresse !

MAGYD CHERFI
EN DÉDICACE À LIVRESSE
SAMEDI 11 FEVRIER 2017
DE 15H à 18H

« Écrire c’est être tous les métiers du monde, c’est être à la place de toutes les peines, le creuset de tous les espoirs »

Magyd Cherfi parle, chante, bouge, mais avant tout il écrit. Il écrit depuis qu’il sait parler et il écrit pour être entendu…au risque de se prendre des »gifles » (et de les rendre), et il en a pris, il en prend encore…
Du collectif Zebda au solo Magyd Cherfi, il est passé du « Nous » au « je » pour plus de liberté « d’expression », et il ne s’en prive pas!

 Une vie de parolier/chanteur (Zebda) et deux livres après (« Livret de famille » en 2004 et « La trempe » en 2007), il publie en août 2016 « Ma part de Gaulois » (aux éditions Actes Sud comme les deux premiers) qui part direct dans la 1ère liste du Goncourt, la consécration du rêve de sa mère (et du sien)…


 

La parole directe, l’empathie au coeur, la fidélité aux siens, le respect de son pays, de la cité des Isards au « carnage » du 13 novembre 2015 Magyd Cherfi écrit celui qu’il devient. « Ma part de Gaulois » en donne les fondements et lui ouvre comme à nous-mêmes une voie d’expressions sur laquelle il peut encore donner de la voix, que nous aimerons lire et écouter!

« Ma part de Gaulois »

dédicacé par Magyd Cherfi
à Livresse
Samedi 11 février de 15 h à 18h


MAGYD CHERFI
Ma part de Gaulois
Récit
ACTES SUD

Printemps 1981, dans une cité d’un “quartier” de Toulouse, un rebeu atypique qui s’idéalise en poète
de la racaille escalade une montagne nommée “baccalauréat” : du jamais vu chez les Sarrasins. Sur
la ligne incertaine et dangereuse d’une insaisissable identité, le parolier-chanteur de Zebda raconte
une adolescence entre chausse-trape et croc en jambes, dans une autofiction pleine d’énergie et de
gravité, d’amertume ou de colère, de jubilation et d’autodérision.


Ci-dessous, une interview de Magyd Cherfi par deux journalistes de « L’Humanité » :

 Magyd Cherfi : « Trop français, pas assez gaulois, fidèle aux miens, fidèle à ma classe »

Entretien réalisé par Caroline Constant et Rosa Moussaoui
Mardi, 11 Octobre, 2016
L’Humanité
Photo Baltel/SIPA

Dans Ma part de Gaulois, roman autobiographique aux accents poétiques et argotiques, le chanteur et membre de Zebda fait le récit d’une enfance et d’une adolescence entre deux mondes. Une tranche de vie qui en dit long sur l’histoire récente de l’immigration, la mise au ban des habitants des quartiers populaires, l’échec d’une République qui n’a pas su ouvrir assez grand ses portes.

Il y a quelque chose d’ironique à revendiquer votre « part de Gaulois », au moment même où Nicolas Sarkozy exalte « nos ancêtres les Gaulois…
Magyd Cherfi.
Quand j’utilise le mot Gaulois, c’est teinté d’humour. Le problème avec Nicolas Sarkozy, c’est qu’il est sérieux. C’est une stratégie pour ratisser à droite de la droite. En même temps, il parle de son père hongrois, de son grand-père grec : il est lui-même entré dans ce monde multiculturel. Avec une espèce de schizophrénie, il se nie, au nom du pouvoir qu’il veut conquérir. Quitte à s’autoflageller, à renoncer à son identité. C’est un peu le mauvais aspect des hommes politiques. Bien sûr, il atteint des gens qui disent « on est gaulois » pour se rassurer. Les responsables politiques savent très bien que les Français sont terrorisés par ce qui se passe, par ce monde qui bouge.

Il y a dans ce livre le sentiment d’être tiraillé entre deux mondes, le monde de la cité, dont on essaie de s’extirper, et le monde de la République, qui rejette ceux qui veulent y entrer.
Magyd Cherfi.
C’est pire que ça. Dans tous les quartiers, il y a un petit îlot de lycéens, d’étudiants qui sont dans la pensée. Ils sont français. Mais quand ils parlent des Français, ils disent « eux ». Et les cousins, les copains, les voisins les traitent de Français, parce qu’ils s’expriment comme de « vrais » Français, d’où un sentiment de trahison des origines, de l’identité, de la religion. C’est de la schizophrénie.

Vous racontez un monde où la lecture est criminalisée, où le seul langage qui vaille est celui des poings. C’est une caricature cruelle, non ?
Magyd Cherfi.
Je ne dis pas tout à fait ça. Ce n’est pas tant que ces mômes refusent d’être français, ou qu’ils rejettent l’érudition. Ils vivent dans la misère. Pour une majorité, l’horizon, c’est l’échec. L’échec scolaire en banlieue reste flagrant chez les gamins issus de l’immigration. À cette époque, c’était pire encore. Moi, j’ai un itinéraire d’enfant gâté. Ceux qui nous entendaient construire des répliques au passé simple, à l’imparfait, rétorquaient : « Tu fais le Français, bâtard ! » Simplement parce qu’ils n’avaient pas accès à cette langue-là. « On va niquer ta mère ! », parce que nos parents t’aiment et ne nous aiment pas. Les profs t’aiment, et pas nous. C’est bien d’être bon en classe… mais ce n’est pas pour nous.

Vous racontez l’expérience des cours de soutien scolaire dans le quartier. A-t-elle comblé cet abîme ?
Magyd Cherfi.
Je devais avoir 15 ou 16 ans quand on a commencé le soutien scolaire. Mais quand les mômes rentraient chez eux, dans des appartements où s’entassaient des familles de dix personnes, c’était le boucan, la violence conjugale. Ils partaient à l’école le matin le ventre vide. Dans ces conditions, tu ne peux rien faire. Parce que tout le reste du système leur tourne le dos. Les mères comme la mienne, soucieuses de réussite scolaire, de respect des autres, étaient très rares. Elle avait ses codes qui ressemblaient aux codes républicains.

Pourquoi était-elle ainsi ?
Magyd Cherfi.
C’est un mystère. Ma mère, comme la plupart des mères, gérait tout. Mon père, lui, était une sorte de naïf romantique : il nous voyait sourire, donc tout allait bien. Dans toutes ces familles, le père n’existe pas : il est là pour cogner. Le mien a laissé les coudées franches à ma mère. Elle avait un espace à investir. Elle courait derrière l’alphabétisation. Depuis cinquante ans, elle essaie d’apprendre à écrire. À 78 ans, elle essaie encore. Désespérément. Avec la rancœur de l’éternité, qu’elle nous demande de venger.

Comment vous est venu l’amour de l’écriture ?
Magyd Cherfi.
Je ne suis pas sûr d’avoir une réponse tout à fait rationnelle à cette question. Ma mère nous envoyait chez l’épicière, chez le curé, chez les bonnes sœurs, chez le professeur. Elle demandait que je sois collé tous les mercredis, pour être dans un apprentissage permanent. Et je suis entré dans des familles qui me prenaient en empathie. Idem avec les professeurs. Entre la bienveillance, le parti pris idéologique de ceux qui te prennent sous leur aile et l’apprentissage strict, tu finis par adhérer à une culture. Noël, Pâques, j’ai découvert ces fêtes chez ces gens-là. On m’a d’ailleurs beaucoup surnommé le « catholique ». Parce que je disais : « Tu rigoles, la religion catholique, elle est super ! Tu vas chez les Français, tu as des cadeaux à ton anniversaire. » Et tu mélanges tout : les anniversaires, Noël, Pâques…

Ma part de Gaulois est moins métaphorique, moins romancé, plus cru que vos précédent livres, comme Livret de famille. Pourquoi ?
Magyd Cherfi.
Au fond, pour écrire, il faut déjà s’être trouvé soi-même. Je me suis longtemps demandé : « Où suis-je ? » Trop français, pas assez français, fidèle aux miens, fidèle à ma classe, fidèle à mes origines, fidèle à la République ? L’écriture vient avec le sentiment d’avoir trouvé une synthèse. Cette synthèse, pour moi, correspondait d’abord à une forme d’érudition, mais avec la volonté de ne pas perdre les enfants de la rue. Comme un désir, un espoir d’être lu par ceux qui ne lisent jamais. Il me faut donc écrire comme ils parlent, reprendre leur langage.

Il y a dans ce roman, aussi, la violence faite aux femmes, aux filles. Ce n’est pourtant pas propre aux classes populaires, aux immigrés !
Magyd Cherfi.
Je dirais que c’est propre à la misère. La misère affective, identitaire, intellectuelle. Ce n’est pas seulement être pauvre, c’est aussi ne pas être chez soi, être considéré comme au-dessous des autres. Quand tu es démuni, tu n’as que la violence comme arme. Je me l’explique comme ça. Moi-même, j’ai pris des baffes. Pas des coups de bâton, mais des gifles tous azimuts, « parce que tu fais le Français ! », sous-entendu, tu fais le dominateur. Quand tu es faible, tu tapes sur plus faible.

Ce roman autobiographique est écrit comme vos chansons. On retrouve des accents, des expressions. Ce désir d’écrire vous a-t-il mené à la musique ?
Magyd Cherfi
La chanson, c’est complètement accidentel. Au lycée, je rêvais d’entrer dans une école de cinéma, pour raconter la saga de l’immigration. Je voulais mettre la misère en images, filmer ceux d’en bas, par le bas et même par en dessous… et je me suis mis à écrire. J’ai tenté l’Idhec. Concours raté. Arrêt du délire. Et comme je traînais avec des musiciens depuis le lycée, j’ai fait en sorte qu’on m’identifie comme le « poète ». J’ai commencé à écrire mes premières chansons, mais il a fallu des années avant que Zebda ne prenne forme. Petit à petit, le sens et la forme se sont affinés.

Comment tient-on le grand écart entre The Clash et la musique kabyle ?
Magyd Cherfi.
La musique kabyle m’a nourri, très tôt. Elle représente l’enfance, le lien avec le père. Au lycée, j’ai découvert Léo Ferré. Une claque. Puis je me suis mis à écouter les groupes anglais. J’ai traîné avec des punks. Derrière leur façade de rebelles en carton, avec leur « no future », ils étaient pleins d’empathie, ça m’allait, parce que je voulais m’extirper de la vraie violence, celle de la cité. Je leur disais : « Tu ne veux pas de futur, mais tu es fou ? Les mecs que je connais en bas, ils veulent des belles bagnoles, des prostituées, des piscines, du champagne ! » Leur rébellion bourgeoise et fleur bleue m’a plu, comme tout ce qui avait de la tendresse. Au lycée, j’ai été emporté par tout un spectre musical, anglais. Les Clash faisaient une synthèse incroyable, avec des Blancs qui jouaient du reggae, mais avec la violence du rock. Dès qu’il y avait mélange de plusieurs cultures, on se sentait dedans. Et puis la chanson française… Quand j’avais 10 ans, dans les rues de mon quartier, on chantait par cœur Claude François, Enrico Macias, Michel Sardou, Johnny Hallyday, Sylvie Vartan… Je l’ai caché longtemps, parce que, au lycée, c’était la honte. Mais avec le temps qui passe, une certitude s’est imposée : « Ne renie rien, Magyd ! » Alors tu prends tout, Claude François et les Sex Pistols.

Dans votre récit, la question politique est toujours présente, explicitement ou en arrière-plan. Il y a des passages très drôles sur la campagne présidentielle de 1981, avec la terreur des parents marqués par le souvenir du Mitterrand de la guerre d’Algérie… Vous évoquez les promesses trahies, la désillusion des immigrés et de leurs enfants vis-à-vis de la gauche. Sommes-nous toujours dans ce même cycle ?
Magyd Cherfi.
Oui, pour moi, on est toujours là-dedans. Ce fameux roman français, dont nous parlent les Français, ils se le gardent pour eux. Il n’a pas été ouvert, ce roman. La Marche des beurs, la marche pour l’égalité, a complètement disparu de la mémoire collective, par exemple. Elle a disparu de l’histoire de France. Le droit de vote des immigrés ? Mitterrand le promet en 1981, il n’existe toujours pas. Là où la République et la gauche se sont plantées, c’est que ce droit de vote aurait dû être donné sans exiger de nos parents qu’ils deviennent français. Ils sortaient de la guerre d’Algérie. Mon père, par exemple, a perdu quatre frères durant cette guerre. Comment aurait-il pu aller embrasser le mur de la République, demander des papiers français ? Il aurait fallu de l’empathie républicaine pour les faire entrer en douceur dans ce pays, dans son histoire. Au lieu de ça, toutes ces impossibilités ont accumulé des rancœurs. S’il y a quelque chose qui se transmet bien, c’est la rancœur, et leurs vies d’échecs. Ils nous disaient : « Sois français, mais ne le deviens pas… » Qu’on ait une place ici, oui, on ne vivra pas en Algérie. Mais… on ne lâche pas cette part de nous-mêmes.

Il y a dans ce roman le personnage de Samir, militant d’extrême gauche, toujours renvoyé par ses camarades à la lutte des classes lorsqu’il évoque le racisme…
Magyd Cherfi.
Mais oui ! À l’époque, un fils d’immigré était tué chaque semaine. Avec la Marche, en 1983, le PS avait ses calculs. L’extrême gauche aussi : elle voyait là des troupes ! Des milliers de jeunes naviguant dans le vide… Une armée toute trouvée pour une énième révolution ! On devait être les soldats de la LCR. Ils nous ont aidés à organiser cette marche, jusqu’à l’Élysée. Mais il y avait toujours cette idée : la lutte contre le racisme n’est pas prioritaire. D’abord, la lutte des classes. Attends ! Mon père est maçon, tous les matins de sa vie, des ouvriers, ses potes maçons, l’accueillent d’un « sale bougnoule ! ». Alors tu me règles ça d’abord, et je te fais la lutte des classes après ! On n’a pas lâché l’affaire.

Quel sens donnez-vous à cette présence dans la première liste du Goncourt ?
Magyd Cherfi.
S’il y a un mec qui écrit qui ne s’attendait pas à ça dans ce bas monde, c’est moi. Je me suis identifié comme auteur de chansons, j’ai écrit deux bouquins de textes courts. Et ça fait dix ans que je n’ai rien publié. C’est tellement improbable que c’est un ravissement intégral. Imaginez, pour un type comme moi qui a rêvé, à 14 ans, d’être Flaubert ! C’est d’une symbolique sublime. Je pense à ma mère. Comment lui expliquer ? Ma sœur a trouvé cette formule, en kabyle : « I la uws sewen », « Il est tout là-haut ». Il est en haut, ça lui parle, ça signifie pour elle : « Il n’aura pas d’oppresseur, quelqu’un, toute sa vie, au-dessus de lui, qui cogne. » J’ai supposé une sorte d’apaisement, de repos, chez elle

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