CORDIELA LA GUERRE, une plongée dans l’abîme de notre présent tourmenté

 

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Sans conteste
le plus puissant et le plus stupéfiant roman
de la rentrée littéraire 2015!
Rencontre, lecture, débat
avec Marie Cosnay et son éditeur
Les Editions de L’Ogre

Samedi 17 octobre 2015 à partir de 15h30
à la Librairie Livresse

 Le Clavier cannibale :
« CORDELIA LA GUERRE est un livre éminemment inquiet – autant par sa bouleversante théâtralité que par son entêtement poétique à sonder et faire résonner tous les motifs. Profondément singulier parce que
courageusement pluriel, il risque de rendre risibles et vains nombre des livres qui paraissent en cette rentrée. »
Claro Août 2015


 L’avis des libraires de Livresse :

Marie Cosnay observe et « reçoit » le monde dans sa complexité sociale, politique, culturelle et individuelle . Son regard veut capter les ressorts multiples des agissements humains et les restituer dans une compréhension autant fantasmatique que profondément réaliste. En provoquant notre imaginaire elle « agit » et agite en nous ce qui fait l’essentiel de notre humanité à la source de la fiction horrifiée mais rassurante que nous en produisons.
Au service de cette nécessité qui est la sienne Marie Cosnay crée une écriture nouvelle tout à la fois ample, ciselée, insinuante, explosive, foreuse, caressante, n’hésitant pas à faire renaître les grands récits anciens par la modernité des propos et des sujets pour mieux nous rappeler à l’universalité de la condition humaine.
Elle nous donne à voir, à ressentir, à penser la douleur la plus injuste et la plus poignante du tragique humain, lui-même sans cesse renouvelé par la volonté dominatrice des « prépondérants »(1) refoulant les « échoués »(2), oubliant qu’ils sont comme chacun d’entre nous, « irremplaçables »(3)!
(1) : »Les prépondérants », Hedi KADDOUR (éd. Gallimard)
(2) : »Les échoués », Pascal MANOUKIAN  (éd. Don Quichotte)
(3) : »Les irremplaçables », Cynthia FLEURY (éd. Gallimard)
Marie Cosnay se situe à la croisée de ces chemins littéraires, impliquée par ses prises de position comme par ses écrits, au coeur de la tourmente de nos sociétés engluées dans la peur du changement et rejetant l’altérité par crainte de s’y retrouver comme dans un miroir.
Marie Cosnay sait que nous ne sommes que l’autre de l’autre et scénarise les mots en images comme représentation du vivant politique en mouvement.

    Cordélia la guerre est un livre qui bouge, qui vit, qui se déplace dans notre regard pour mieux déplacer notre pensée, l’ouvrir sous un autre angle que celui formaté par l’ordre dominant ou déformé par l’appréhension de l’intégrisme montant.
Les Editions de l’Ogre, qui ont choisi d’éditer ce magnifique livre qui « délivre » un langage qui porte autant le désespoir que la conquête, signent de leur marque un projet éditorial courageux et ambitieux.


SAMEDI 17 octobre venez écouter et interroger Marie Cosnay, et son éditeur, sur cette « visitation » du Roi Lear à laquelle Marie Cosnay donne le rythme d’une épopée des temps modernes qui nous apparaissent sous sa plume tellement et pathétiquement humains, trop  humains.
Qui sommes-nous, hommes et femmes du XXI ème siècle qui avions cru pouvoir commander le bonheur à la nature, hommes et femmes d’ici et maintenant, trop incrédules, enfin! pour nous (con)fier à la politique des « bien-pensant »?
Marie Cosnay pose la question et répond par une rencontre fracassante entre la fiction et le réel, entre l’imaginaire écrit et le récit imaginé du réel.
A nous de nous tourner vers un nouvel horizon à construire sur les cendres de notre monde en désolation.

Cordélia la guerre, du grand oeuvre!
Marie Cosnay, une auteure majeure!
 un nouvel éditeur piégeur!
Ensemble
A LA LIBRAIRIE LIVRESSE
SAMEDI 17 OCTOBRE 2015
Libres échanges de 15h30 à 16h30
Lectures/Débat/Dédicaces
à partir de 16h30


 Certains lecteurs villeneuvois ont déjà rencontré  Marie Cosnay fin mai 2015 à la Librairie Livresse. Pour eux comme pour nous, ce fut un moment exceptionnel.
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N’hésitez pas à lire les articles de certains magazines littéraires ci-dessous : vous ferez connaissance avec l’Ogre et ses « petits soldats » Nietzschéens de la « menace poétique », et vous rencontrerez Marie Cosnay, militante engagée et traqueuse de la langue forte, belle et rebelle.

 

 

 


CORDELIA LA GUERRE Résumé de l’éditeur :

Cordelia la guerre s’ouvre sur la découverte, dans une zone frontalière, d’une Cadillac accidentée, auxquels sont liés de mystérieux rubis et une femme amnésique. Elle entraîne Ziad, Zelda et Durruty dans une enquête policière banale. Parallèlement, dans un temps et un lieu qui semblent similaires, la trame du Roi Lear se met en place et se mêle de plus en plus à l’intrigue initiale sans qu’un lien puisse être, dans un premier temps, établi. La tragédie shakespearienne est ici relue par le prisme d’une intrigue politico-mafieuse où se mêlent migration, trafic et lutte pour le contrôle du territoire.

L’enquête elle-même disparaît, comme emportée par la guerre, ne refaisant surface que de manière intermittente. La guerre sourde, celle de la succession et des territoires que mènent Cordelia, Réjane et Gonéril – les filles de Lear – et Gabrielle – la fille du Grec, qui conduit une armée de déshérités –, masque celle qui hurle au loin opposant le Nord est le Sud.
La géographie mise en place par Marie Cosnay est à la fois familière et étrange, à la fois contemporaine et universelle : une fourche bordée par la mer, les forêts, les promontoires et les architectures urbaines – nous pourrions être à Calais ou à Lampedusa, tant la sensation de frontière est forte. Au milieu de cette ville, un fleuve en crue qui change de couleur à mesure qu’il grossit. Chaque espace est le siège possible d’une révolte, d’une métamorphose. Les personnages qui les habitent sont à la fois acteurs et spectateurs, emportés par la guerre, aux prises avec la mutation géographique et politique de leur environnement, ils se perdent, se raccrochent à l’enquête, aux héros qui émergent et qui dans la poussière des combats semblent leur indiquer un avenir possible.
Cordelia la Guerre est un roman en feu, qui, comme la géographie dans laquelle il se déploie, emporte tout sur son passage. La langue de Marie Cosnay est dense, tendue, tour à tour sèche et hallucinée. Elle déborde le réel, comme en crue, et, dans les failles qu’elle crée, surgissent des mythes anciens, des femmes soldats, des hiboux et des chevelures en feu. Marie Cosnay ne cesse de jouer avec l’envie que nous avons de comprendre les événements, d’atteindre une hypothétique vérité. Cordelia la Guerre est un roman multiple, à la fois épique, policier, contemporain et mythologique.

Cordelia la Guerre est habité par une forme d’urgence, il faut prendre en note, raconter la guerre, l’enquête, ne pas s’attarder, restituer le trouble qui entache tout ce qui se déroule sous nos yeux. Il s’agit de rendre compte, au plus vite, coûte que coûte, et tant pis si les faits ne sont pas toujours précis ou si les motivations de certains personnages restent opaques. On n’a pas le temps, il s’agit d’avancer, de raconter, de survivre. Il nous emmène dans un tourbillon dont le souffle met au jour la matière d’un monde qui s’effondre. C’est en réalité notre contemporain qui se joue sous nos yeux, et Marie Cosnay en révèle toute la densité sociale et politique.
C’est d’ailleurs tout l’intérêt de la langue de Marie Cosnay, au-delà de sa beauté, puisqu’à la différence d’autres œuvres épiques, le lecteur n’est pas spectateur, mais quasiment acteur de l’aventure. Le dispositif mis en place dans Cordelia, le fait que les thèmes abordés soient profondément ancrés dans notre réel (flux migratoire, capitalisme) et la richesse poétique de sa langue, donne au lecteur le sentiment de participer à l’intrigue.
Voilà, entre autres, ce que fait la langue, cette langue si étrange par moments. Elle interroge notre position, notre réel et recrée en nous le sentiment de l’urgence politique et du trouble. L’univers se délite, et il est impossible de savoir par quel bout nous pouvons commencer à réparer le monde.


Librest

Cordelia la Guerre

Auteur : Marie Cosnay
Edition : 
Ogre

Cordelia la Guerre « Elle est soleil et pluie et autre chose, c’est la toute-puissante Cordelia qui réunit la pluie que portent les héros sur leurs épaules (héros qu’on voit, par exemple, enfourcher des chevaux blancs et galoper dans les nuits d’inondation) et le soleil que portent les mêmes (canicule, fardeau saignant et adoré), elle est la toute-puissante qu’on ne regarde ni de face ni de près, elle est celle qui ne dit mot puis pleure puis dit père, comme un caillou. Qui rencontre des hiboux poignardés dans les forêts sur les troncs des arbres. Il y a autre chose. Elle dit autre chose. Elle dit : femmes, femmes, mes soeurs. Elle est toute blonde, porte un corsage décolleté et une robe blanche, Cordelia qui avance dans les forêts touffues accompagnée d’hommes d’armes, ses larmes sont des diamants et ses sourires des perles ; une douleur comme la sienne. La femme sans honte et toute blanche dans la forêt. La femme homme-soldat. » « Une furie ramassée dans le corps et l’image d’un oiseau. Mettons-nous en route. Suivons l’oiseau de nuit qui est venu de jour. Il est venu pour nous. »

Une voiture en feu, une amnésique, de mystérieux rubis, et la guerre sourde qui balaie tout sur son passage. Cordelia la Guerre est un roman en feu, multiple, ambitieux qui, tout en jouant avec les codes du roman policier, de l’épique et du mythologique, propose une relecture contemporaine du Roi Lear. Il nous emmène dans un tourbillon dont le souffle met au jour la matière d’un monde qui s’effondre. C’est en réalité notre contemporain qui se joue sous nos yeux, et Marie Cosnay en révèle toute la densité sociale et politique.


France Culture

La guerre (4/5) : Prose conflictuelle

10.09.2015 – 16:00

Quatrième étape d’une semaine qui regarde la guerre.

Aujourd’hui, la guerre est dans le texte. Nous recevons la romancière Marie Cosnay, auteure de Cordelia la guerre (éditions de l’Ogre). Elle propose une relecture du Roi Lear par le prisme d’une intrigue politico-mafieuse où se mêlent migrations, trafics et luttes pour le contrôle du territoire, sur fond de guerre étouffée.

« C’est la guerre ». Plusieurs paragraphes, débutent ou se terminent par cette affirmation, qui précipite un décor, fait débouler un monde d’associations d’images, demande à ce que chacun, chacune, lecteur, lectrice, attrape ce que ce mot-là appelle. Car c’est un mot et parler suffit à faire dérailler.

Cordelia la guerre prend le drame Shakespearien du Roi Lear comme trame, et couds par dessus, par dessous, sans omettre les trous, et les espaces noirs.  Que dit le drame ? Le vieux roi Lear réunit ses trois filles. Il se retire du pouvoir et veut partager son royaume. La plus large part sera offerte à celle qui saura dire le mieux son amour pour son père. Cordelia, contrairement à ses sœurs, décide d’être honnête et d’avouer à son père qu’une partie de son amour, sera bientôt offerte à l’homme qu’elle choisira. Lear la déshérite. Clap de début. La fille préférée porte la guerre.

Dans ce livre de Marie Cosnay, Cordelia devient la guerre elle-même, cette surface où ça tombe, s’écroule, ou réfléchit. Elle devient une femme-homme- soldat.  D’autres guerres se mènent en parallèle. Et si rien ne peut venir de rien, l’origine de celles-ci, la désignation de l’ennemi, leurs géographies, savoir qui est qui, demeure parfois dans l’obscurité de la violence ou du poème.

C’est une expérience de lecture, où la littérature elle-même semble s’être mise en guerre, ou en tous cas très en mouvement, ce qui n’est pas pareil. Travailler ses puits noirs, ses cachettes. Repousser la rationalité et les faciles résolutions. Le langage comme autre surface, où l’on tombe, s’écroule et réfléchit.


La correspondance imaginaire

Parce qu’il faut bien s’écrire

  Cordelia la guerre

Palimpseste. Le mot m’a été soufflé, mais c’est celui qui définit le mieux, pour moi, le projet de Marie Cosnay. Car Cordelia la Guerre, plus qu’une réécriture, est un roman écrit par-dessus Le Roi Lear. On en trouve bien quelques traces : Cordelia, Goneril et Régane, les époux de chacune, Gloucester et ses fils, Kent et bien sûr le vieux Roi lui-même — tous sont bien là (à l’étonnante exception du Fou) et on distinguera même quelques citations çà et là, mais ils sont recouverts, noyés, imbriqués à un texte nouveau auquel, d’abord, ils semblent être étrangers.

C’est la guerre, peut-être, et la pénurie qu’elle implique qui justifient que comme les moines copistes on gratte un peu les vieilles peaux pour y écrire du neuf. Car à celle que mènera comme on sait Cordelia à ses sœurs, s’en superpose une autre, une sorte de jacquerie dans laquelle des nu-pieds et des Falstaff dormant sous l’auvent des Carrefour Market, menés par Gabrielle, sorte de Louise Michel locale (elle habite sur une butte), viennent contester la domination exercée par la clique de Lear — ici roi de la finance plutôt que d’Angleterre. C’est l’occasion pour l’auteur d’intégrer dans son texte la belle conscience sociale qui habitait son précédent, A notre humanité, où le drapeau rouge était hissé jusqu’à la couverture, et d’y faire pénétrer aussi, avec une acuité frappante, un peu de notre actualité puisque chômeurs, SDF et migrants s’écrasent contre les murs de l’empire financier et dans « les zones hors de contrôle bordant la frontière et remplies de terroristes qu’on reconnaît à leurs haillons et aux ours qu’ils dépècent » (phrase tout à fait volodinienne qui laisse supposer entre les deux écrivains quelque communauté de pensée). Une critique acerbe des trop nombreuses dérives de notre système capitaliste, de l’illisibilité du monde moderne (« Si A finance les groupuscules B on s’attend à ce que B défende A mais non, B coupe la tête de A. ») affleure souvent sous le tumulte de l’action.

Mais ça ne s’arrête pas ! A cet imbroglio s’ajoute encore une enquête policière. On le sait car il y a eu un meurtre, des coups de feu et des flics, et qu’on connaît les codes. Marie Cosnay les sait aussi et en joue habilement, revisitant le genre polar comme Céline Minard l’avait fait, il y a de cela deux ans, à propos du western. La comparaison s’arrête vite, car le projet littéraire n’est pas le même. Bien rapidement l’enquête patine et nous aussi, si l’on essaye vainement de démêler des fils trop embrouillés. Bien dans leurs rôles dans la première partie (commissaire taciturne, jeune fliquette motivée, lieutenant tout à fait romantique, bourru et intrépide, un peu mystique), les enquêteurs en sortent dans la seconde, vacant chacun à ses obsessions propres. Tout s’emmêle donc un peu comme dans Inherent Vice (le film — je n’ai pas lu le roman de Pynchon) où l’enquête initiale devient vite un prétexte à faire se côtoyer tout un tas de personnages loufoques que rien n’était la plume d’un auteur déjanté n’aurait amené à se rencontrer.

On jubile. Et qu’importe ou plutôt tant mieux si l’intrigue s’efface vite au profit du récit.* On est emporté par la plume de Marie Cosnay à une vitesse hallucinante et telle que certaines phrases peuvent rester suspendues : la pensée va plus vite. On s’égare quelquefois et la deuxième partie, où tout ce qu’on avait échafaudé dans la première est tout d’un coup abandonné, semble un peu longue, mais on s’amuse de ce joyeux foutoir dont la moindre des qualités n’est pas ce côté sacrilège, impie avec lequel l’œuvre baroque traite le baroque de la tragédie shakespearienne, expédiant en deux phrases ses ressorts, résumant ses dialogues, faisant puer des pieds la noble Cordelia, ironisant (« Oh Kent ») sur les marques de fidélité du Comte et son attachement à son roi. Rien n’est sacré ! Et puisse Cordelia emporter sa guerre — Cosnay, fait voguer l’anarchie !


Charybde2

Note de lecture : « Cordélia la guerre » (Marie Cosnay)

Magnifiquement irréelle, une réécriture contemporaine, poétique et politique, du roi Lear.

À paraître le 20 août 2015 aux belles éditions de l’Ogre, ce nouveau roman de Marie Cosnay (son dix-huitième texte publié, succédant à l’intense « À notre humanité » de 2012 et à son poignant et subtil « Ces nuits sont à toi, Alexis » de mars dernier, écrit en collaboration avec Myrto Gondicas) devrait être un texte qui fera date. En tout cas, il a cet effet de pierre blanche, de marqueur littéraire profond, sur moi.

Il est toujours audacieux et difficile de s’emparer d’un mythe connu, reconnu et entré au panthéon de l’histoire littéraire : parmi de nombreux échecs, ou même satisfactions mineures, c’est souvent la marque des grands écrivains que de parvenir à insuffler une nouveauté authentique et nécessaire dans la trame concoctée par de grands anciens, surtout aussi affûtés et prestigieux que klShakespeare, dont « Le roi Lear », l’une de ses œuvres les plus sombres dans un théâtre qui n’en manque pourtant pas, avait déjà transformé un vieux récit celtique en une figure extraordinaire de l’avidité, de l’ingratitude, de l’aveuglement et de la folie.

Pour parvenir brillamment à ses fins, Marie Cosnay a reconstruit, transposé, irrigué et subtilement politisé, dans un contexte contemporain ou bien proche de l’être, l’histoire du vieux roi britannique et de ses trois filles.

Les nobles du premier cercle du roi y deviennent ainsi de riches hommes d’affaires, authentiques entrepreneurs accrochés à une certaine « éthique » pour certains, tycoons ambigus impliqués dans divers trafics et truchements dans des transactions potentiellement illégales pour d’autres, tous enserrés dans un réseau dense d’allégeances, de services rendus et de dettes que l’on hésite à appeler « d’honneur ». Les querelles dynastiques autour de l’héritage et du partage des richesses n’ont besoin, elles, que d’une très légère évolution pour tenir toute leur place d’amorce dramatique, évoluant sur cette fine ligne de partage des eaux qui sépare l’ambition de l’avidité.

C’est la salle centrale du palais, les fresques sur les murs de la rotonde montrent des hommes mourant dans les bras de vieilles vierges bleues, les hommes tombent de croix, de gibets, tombent, tombent.
J’ai fait un rêve, dit Kent le barbu à l’un des hommes qui trépignent par là, hésitent, n’osent pas s’asseoir, contemplent la table dressée sans savoir si c’est pour eux et l’un d’eux pépie : voici mon fils de la main gauche (rires), Prépa Sup de Co Erasmus à Shanghai, etc.
Le rêve : une fille avait commis un acte épouvantable. Je la livrais aux autorités après bonne combinaison d’un code secret. Je la serrais contre moi. Je voulais qu’elle échappe et qu’elle n’échappe pas (Kent).

Le vieux bonhomme a besoin d’aide : Lear bringuebale. Les ombres sont au garde-à-vous. Le vieux bonhomme et le barbu qui soutient le vieux bonhomme avancent de concert. Il pourrait y avoir de la musique, il n’y en a pas. Un homme en livrée fait tinter une fourchette contre la porcelaine d’une assiette.
Prépa Sup de Co Erasmus à Shanghai, dit Glouc (tout bas) à qui veut entendre. Son fils toussote, derrière. Entre le vieux Lear qui le fixe avec mépris et son père qui radote, le fils, Ed alias Edmond, va prendre une décision. N’importe quelle décision, tant il se sent mal (rien ne passe, ne va passer entre ici et ici – la glotte). La vie est mal fichue. Vingt ans et la vie si mal fichue. La queue d’un dragon. Rien à en tirer sauf un fil de conscience. Il entend comme pour la première fois la plaisanterie du père : de la main gauche. Il tourne les talons. On lui ouvre la porte vers le parc.
Il tournicote dans les jardins, les cyprès taillés en pointe, drôles de jeunes gens jamais consolés, il déplie, plie une lettre, la met dans sa poche, la retrouve, s’inquiète, la lit, replie. Il a une fossette sur la joue gauche. Une des filles passe par là, l’aînée de Lear, 1,80 mètre. Elle salue le garçon. Pas mal. Irrésistible même, perdu ainsi dans les allées semées de cyprès et de rosiers en boutons. Un peu mal fagoté c’est vrai. Mélancolique. Elle hésite un moment (Shanghai etc., pense-t-il qu’elle doit penser et il meurt de honte), elle passe. Ils se sont tous arrangés pour être en retard, les prétendants suivent les filles en sage colonne le long des allées ratissées du jardin de la famille du vieux Lear.
Sur la table Lear a, de l’avant-bras, balayé les couverts. Les ombres et les hommes en livrée ont couru pour empêcher que tout ne dégringole. Sur la table Lear a ouvert une carte vieille comme son arrière-grand-père. Les territoires. Sociétés. Pays et possessions. On les joue aux dés. Pas exactement aux dés : Lear jette un rubis minuscule sur la carte. L’Est, qui veut l’Est. La fille qui veut, accompagnée de son andouille de fiancé, s’agenouille, baise la main fripée (énorme, énorme et qui pourrait écraser encore) de Lear.

En échange, ma fille, dis-moi comme tu m’aimes.
On sait la suite, je vous aime père comme les mots ne peuvent pas dire, je vous aime plus que et plus que.

Mais si cette première grande transfiguration reflète au plus juste la réalité du pouvoir au XXIème siècle par rapport à celle du XVIème ou du XVIIème siècle, c’est dans l’arrière-plan du jeu familial que Marie Cosnay a instillé son plus incisif télescopage, auquel l’actualité de ces dernières années et de ces derniers mois confère un singulier relief. Autour du drame familial des ultra-riches, aux ramifications multiples, le pays et ses voisins sont en plein bouleversement rampant, alors que les populations chaque jour plus nombreuses de réfugiés économiques et politiques, mais aussi de laissés-pour-compte tout ce qu’il y a de plus autochtones, semblent vouloir revendiquer, de fait – et de plus en plus manu militari, la guerre civile pouvant désormais se jouer de la notion de frontière -, la fluidité qui était jusqu’ici l’apanage des capitaux. Des bandes armées apparaissent, qui ont de plus en plus l’air d’armées de libération. Et pourtant, au milieu de ce chaos en gestation exponentielle, tandis que certains ne songent qu’à, mots magiques, « préserver leurs intérêts », d’autres essaient encore, tant bien que mal, de faire leur boulot : une équipe de policiers enquête, de toutes ses forces – peut-être, sur un mystérieux trafic ayant brutalement cristallisé autour d’une Cadillac criblée de balles, incendiée et abandonnée.

Ciel tavelé de morceaux gris, du milieu s’échappe quelque lumière en flaques, aux Trois Fourches, le Grec a dit qu’ils n’ont rien entendu, il a bien fallu que quelqu’un appelle les pompiers, dit Ziad à Durruty. Trois bouffées de Ventoline. Des cônes fauves surmontés de poignées de fumée se dressent sur la route des cimes. Les pompiers se hèlent, ici pas de curieux à écarter, il est 17 heures le 31 mars (Ximun devait venir songe Ziad, puis ne songe plus, gêné par l’odeur). Durruty : Ximun ne trouvera rien, pas la peine qu’il se dérange, à quelle vitesse sur ce sentier de montagne et de contrebande roulaient-ils, ils étaient deux, on a vu les tignasses avant qu’elles ne s’enflamment, demain c’est avril, toujours ce froid, le vent. Désespoir de Durruty, le désespoir de toujours, rien de neuf.

Le roi Lear (Olivier Py, Avignon, 2015)

Pour orchestrer son enquête policière digne des meilleurs thrillers, son mouvement de fond socio-politique des populations et son drame privé (pour lequel la connaissance préalable du « Roi Lear » de Shakespeare apporte un bel éclairage, mais n’est en fait nullement indispensable), Marie Cosnay a su inventer une langue à part, toute en ellipses justifiées, laissant longtemps un magnifique travail d’inférence à la lectrice ou au lecteur : les évidences, les implications automatiques, les phrases qui  supposent un « cela va sans dire » sont renvoyées le plus souvent à de discrets blancs ou à des points de suspension inaudibles : ici, toutes et tous carburent à cent à l’heure, car pour certains le temps reste de l’argent, et pour d’autres, il ne travaille que trop pour les coupables, tandis que pour les derniers, une simple et finale fatigue de la langue sous le poids du réel finit par s’imposer. Pas le temps donc de se répandre en explications inutiles qui ne seraient en réalité destinées qu’aux seuls lecteurs, s’ils étaient un rien fainéants. Et somptueux clin d’œil, aussi, en écho baroque et nécessaire à la poésie post-shakespearienne et au parler fleuri dissimulant leur froide efficacité dont usent et abusent certaines des proches de Lear, aux phrases décapantes et réduites à leur fonction utilitaire qu’affectionnent des maîtres tels que Jean-Patrick Manchette, Frédéric Fajardie ou DOA.

Sur les parvis des maisons de l’emploi pour tous c’est chaque jour de chaque semaine qu’on tente les immolations. On entre en immolation après qu’on est entré en pauvreté avec élan de poursuivre jusqu’aux enfers la pauvreté. On va vous les enlever les 600 euros pour l’entourloupe d’avoir reçu les allocations chômage alors que vous travailliez, 600 euros que vous n’avez pas déclarés, ce non-variable-là (n’avez pas déclarés) s’appelle fraude aux Assedics et nous poursuivons fraude aux Assedics. En face, petit sourire (paie pas de mine). On se retire de la maison de l’emploi pour tous, s’organise, premier mail, deuxième mail, troisième mail, je prendrai feu ferai feu ferai le feu. Les milices anti-incendiaires sont composées de privés sans emploi qui à la maison de l’emploi pour tous revêtent le costume et tentent de repérer les malheureux qui. On inonde les parvis. Ça miroite un moment, c’est assez beau sous les lumières de mars. C’est un boulot tranquille, en fait.

Baignant par moments dans un climat onirique, voire fantastique, engendrant insidieusement l’irréalité chère aux éditions de l’Ogre,« Cordélia la guerre » mettra néanmoins un point d’honneur, pour la joie de la lectrice ou du lecteur, à tout expliquer le moment venu : aucun de ces détails curieux, créant ici et là une salutaire hésitation, ne restera dans l’ombre, et chacun des fils patiemment tissés au long de ces 340 pages prendra in fine sa place légitime dans le tableau d’ensemble. Associant étroitement, presque magiquement, la force dramatique issue de la stature mythologique du roi Lear, les codes finement travestis du polar noir et du thriller, et une redoutable anticipation politique contemporaine, Marie Cosnay, par la puissance mutagène de son écriture, nous offre ici un très grand roman poétique et politique.